Un chemin de coquelicots
Balade poétique à Motz Savoie
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D’un austère silence émerge la vieille chapelle de la Vézeronce, abandonnée à la solitude hivernale du plateau de Retord.
Rien ne semble troubler la paix de cette divine sentinelle qui du haut de son sanctuaire montagneux, tisse des liens de lumière entre le ciel et la terre, entre le présent et l’éternité.
Le coq, veilleur captif du clocher danse avec l’obscurité naissante un intrigant ballet ; livré aux épais brouillards il en a oublié les saisons…
Encore quelques pas hors du temps, jusqu’à ce qu’un froid saisissant m’enveloppe de son écharpe de grisaille…
Beauté du paysage dépouillé qui s’enfonce soudainement sous l’âpre noirceur de l’hiver, chemins jalonnés de piquets vermoulus couchés sur leur linceul d’herbes sèches, cimetière témoin muet d’un passé délaissé…
Plongée dans l’étrange alchimie des couleurs éteintes, la vieille chapelle de la Vézeronce brille telle une étoile incandescente et je sais que par-delà les montagnes, des anges bienveillants écoutent ses prières.
« Une lumière dans la brume » MOINE Corinne
Rédaction/Photos/MOINE Corinne
Aujourd’hui nous connaissons le plateau de Retord pour ses combes, ses forêts, ses prairies foisonnantes de narcisses et de jonquilles printanières, toutefois il convient de préciser que Retord fut jadis abandonné du monde.
Dès 1639, le plateau se peupla de familles migrant de Champfromier, puis du Jura en 1848.
Malgré cette population croissante essaimée çà et là, Retord ne fut jamais considéré comme une commune.
Dans de telles circonstances, les habitants n’eurent de cesse de réclamer un prêtre, car durant les rudes mois d’hiver ils se voyaient contraints à parcourir des kilomètres dans une neige abondante, afin d’assister aux offices de la paroisse voisine.
En ces temps de grand dénuement spirituel, les montagnards de Retord inhumaient fréquemment leurs morts sans bénédictions !
Rappelons-nous aussi que pour l’époque, la doctrine chrétienne refusait le salut de l’âme des enfants mort-nés non baptisés*.
La perspicacité de quelques Retordiens qui exprimèrent leurs doléances auprès de l’évêque de Genève** s’avéra concluante, tant et si bien que l’année 1674 scella l’avènement de la nouvelle paroisse de Retord.
Sous l’égide du prêtre Claude Bonifax, Retord consacra sa première église en 1683, lieu dit « combe de la Platière », un petit cimetière jouxtait l’édifice.
*L’âme errait dans les limbes (frontières de l’enfer) jusqu’à la fin des temps.
**Monseigneur Jean d’Arenthon d’Alex (1620/1695)
Source : Les Abergements, des origines au temps p | fermes (fermes2retord.com)
Ironie de l’Histoire, la Révolution balaya cent quinze années de pieux sacrifices, les propriétés « foncières » ecclésiastiques furent confisquées puis vendues.
En conséquence, l’église de la Platière se trouva enclavée dans le domaine d’un nouvel acquéreur.
Cela étant, il fallut négocier une parcelle afin d’ériger le nouveau presbytère (contigu à l’église), tout se déroula sous les meilleurs auspices, du moins le croyait-on !
Les exigences ubuesques du propriétaire qui craignait le saccage de ses terres par les fidèles se rendant à la messe, voueront la transaction à l’échec.
Non sans un certain déchirement, les Retordiens abandonnèrent la petite église de la Platière*, tournant ainsi une page mouvementée de leur histoire.
*Localisation des ruines de l’église originelle de la Platière et de son cimetière
C’est sur un terrain* situé dans la combe de la Vézeronce, qu’une nouvelle église sera consacrée en 1852, néanmoins il faudra quelques deniers en sus pour acquérir la cloche courant 1856 !
Un événement charnière qui marqua l’apogée du plateau de Retord, un vent de liesse spirituelle souffla enfin sur la petite communauté religieuse.
En dépit de toutes les bonnes volontés qui œuvrèrent sans relâche, la paroisse de Retord connaîtra des épisodes contrastés.
Désertification du plateau, pénurie de prêtres, perte des valeurs religieuses, manque de mécènes pour soutenir les travaux de l’église.
Quelques décennies chaotiques s’abattront sur l’église de la Vézeronce, jusqu’à l’arrivée d’un homme providentiel : l’abbé Frédéric Tarpin-Bernard.
*Mme Auguste Reydellet céda gracieusement le terrain.
Nouvellement en charge du culte à Retord (1940), l’abbé Tarpin-Bernard* entreprit après la Seconde Guerre mondiale, la fastidieuse restauration de la chapelle de Retord, alors outrageusement délabrée.
Soutenu par ses paroissiens, l’abbé Tarpin conçut le mobilier liturgique avec un matériau local ; le sapin**, un agencement « non conventionnel » qui lui vaudra au passage quelques critiques…
Durant quarante longues années, la foi vissée au cœur, l’abbé portera à leurs termes de multiples restaurations, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’église de la Vézeronce, cimetière compris.
De plus, en 1956 il fit ériger une croix en pierre sur les ruines de l’ancienne église de la Platière, elle est toujours en place aujourd’hui.
L’abbé Frédéric Tarpin-Bernard repose depuis 1989 dans le petit cimetière avoisinant la chapelle de la Vézeronce.
À tout bien considéré, quelle tâche ardue !
* Curé de la paroisse du Grand-Abergement de 1940 à 1978 (1911/1989)
**Cet homme de foi vouait une passion au travail du bois.
Semblablement à ses prédécesseurs, l’abbé Tarpin veilla à tout mettre en œuvre pour pérenniser la fête de la Saint-Roch.
Saint-Roch* étant l’intercesseur du monde rural (entre autres), le prêtre bénissait donc engins agricoles et attelages.
Certes, les temps ont bien changé, mais cette mémorable tradition perdure depuis plus d’un siècle sur le plateau de Retord.
La cérémonie se déroule le premier dimanche qui suit le 15 août, elle implique la bénédiction des voitures et de leurs conducteurs !
« Après la Saint-Roch, aiguise ton soc et chausse tes sabots »
*Saint-Roch est le saint patron de tous les pèlerins ainsi que de nombreuses confréries ou corporations.
Carte postale 1930-Collection personnelle-Veuillez ne pas reproduire
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Puisqu’il me faut conclure cet article, je souhaite rendre hommage à l’écrivaine Delphine Arène, digne poétesse de Retord. Nul à mon goût n’a su si exactement décrire ce plateau solitaire où la nature se mêle à la lumière énigmatique de la chapelle de la Vézeronce.
« Heureux celui qui, dans l’aube naissante,
Voit le plateau s’éveiller au soleil
Et qui, le soir, dans l’ambre grandissante
S’en va chargé de fleurs et les yeux pleins de ciel… »
Extrait « Hyme à Retord » Delphine Arène (1886/1975)
Le plateau de Retord « Enchantement de la nature » Delphine Arène : ici
Visages de l’Ain 1975 Hommage à Delphine Arène : ici
Il était une fois Retord par Jean Goupil : ici
Photo : Hellébore Niger
Bonne lecture
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