La dormeuse du château de Pyrimont
Écho d'une légende...
lire la suite de l'article
« Parfois, dans les replis de l’histoire, ce ne sont pas les morts qui hantent les vivants, mais les vivants qui sèment, sans le savoir, les mots des plus belles légendes.»
Dominant le Rhône, une intrigante maison bourgeoise émerge de la végétation : le château de Pyrimont.
Érigée en 1835 pour le marquis de Sassenay, l’imposante bâtisse — jadis résidence d’été d’une élite aisée — demeure l’ultime témoin d’une période prospère, inhérente à l’usine d’asphalte de Pyrimont.
Toujours est-il qu’en ce lieu plane une légende des plus troublantes, qui ne manquera pas de vous évoquer un célèbre conte germanique.
Au cours de l’année 1796, Joseph-Marie Secrétan, géomètre à Seyssel, met au jour, au lieu-dit Pyrimont dans l’Ain, un gisement de roches bitumineuses.
Bien que la concession lui soit officiellement accordée par décret le 26 août 1797, elle passe sous le giron de la Compagnie générale des asphaltes de France en 1811.
Dès 1821, une usine voit le jour sur la rive droite du Rhône, à Pyrimont.
Le minerai transformé en mastic asphaltique, contribue à l’étanchéité des trottoirs de Paris, notamment ceux des Champs-Élysées.
En 1831, dans un marché minier en plein essor, le marquis de Sassenay rachète toutes les concessions.
Quatre ans plus tard, en 1835, il fait bâtir une imposante maison bourgeoise surplombant le Rhône et les usines d’asphalte : le château de Pyrimont.
Malgré, cette épopée minière glorieuse, la mise en service de la ligne ferroviaire Lyon-Genève (1857 ) sonne le glas du transport fluvial — sur le Rhône — jusque-là essentiel au commerce de l’asphalte.
Désaffectée en 1970, l’usine est finalement démantelée en 2015.
Le château de Pyrimont dominant le Rhône et l’usine d’asphalte.
Alors que le soleil flamboie ses premiers rayons sur le Rhône, les volets du château de Pyrimont sont restés clos.
Dans la pénombre d’une chambre funèbre, le marquis de Sassenay pleure sa fille emportée tragiquement la veille de ses noces.
Fou de douleur, il espère entrevoir une étincelle de vie dans les yeux éteints de sa princesse.
Mains jointes sur un chapelet de roses, elle semble paisiblement endormie.
Un pan de sa robe de mariée retombe en vagues de taffetas, une mèche de cheveux étreint son teint de porcelaine
— « Quel âge a-t-elle ? »
— Vingt ans…
Les portraits des ancêtres inclinent leurs regards muets vers la défunte, comme pour accueillir son immortel silence.
À la manière d’un poignant hommage, les flammes des cierges vacillent avec grâce, drapant les murs et le corps inerte de la jeune promise d’un linceul d’or.
Parce qu’il lui est inconcevable de livrer sa fille bien-aimée à l’obscurité du tombeau, le marquis fait réaliser un cercueil de verre soufflé.
Aux premières lueurs d’un lendemain sans fin, l’écrin de lumière est enseveli sous le marbre du hall du château familial…
C’était il y a bien longtemps…
L’oubli a jeté son voile de mystère sur la belle dormeuse du château de Pyrimont, afin que nul ne puisse jamais troubler son sommeil éternel.
« La marquise de verre » MOINE Corinne
Statue sous alcôve — château de Pyrimont —
La légende du château de Pyrimont, ne semble pas entièrement née de l’imaginaire rural.
— Je m’explique.
Préservée dans une châsse de verre par un père inconsolable, la marquise de Sassenay rejoint l’archétype de la vierge immaculée — une jeune fille pure fauchée à la veille de ses noces.
Le choix « théâtral » du cercueil de verre n’est point fortuit : il prolonge une esthétique romantique du deuil, caractéristique du XIXᵉ siècle, où l’on cherchait à retenir la beauté au seuil de l’éternité.
Cette légende émouvante entre étrangement en résonance avec un conte universellement connu : celui de Blanche-Neige, déposée elle aussi dans un cercueil de verre par des mains aimantes.
La proximité chronologique du célèbre conte des frères Grimm— popularisé en France au XIXe siècle — laisse entrevoir un possible transfert littéraire.
Or, en suivant le fil généalogique de la lignée de Sassenay, j’ai découvert qu’elle comptait en son sein plusieurs esprits lettrés.
De là à penser qu’un drame familial ait pu inspirer une plume romanesque, jusqu’à faire du château de Pyrimont le décor d’un conte incarné, il n’y a qu’un pas !
Parfois, il arrive que le cœur des hommes écrive, à leur insu, les plus pérennes légendes…
« À leur retour les Nains trouvèrent Flocon-de-Neige étendue par terre, et plus aucun souffle ne sortait de ses lèvres, elle était morte.
Quand ils décidèrent de l’enterrer, ils trouvèrent qu’elle avait gardé ses jolies joues si roses, qu’ils ne purent se résoudre à l’enfermer sous terre.
Ils firent fabriquer un cercueil de verre, la couchèrent à l’intérieur et gravèrent en lettres d’or son nom et qu’elle était la fille d’un roi. »
📚 Extrait du conte des frères Grimm traduit du texte Germanique en 1910
📚 Le conte de Blanche-Neige, des frères Grimm, publié pour la première fois en Allemagne en 1812, commence à circuler en France à partir des années 1820–1850.
📚 Illustration de Marianne Stockes (1855-1927) , figurant dans l’édition de 1812 des frères Grimm.
Au XIXᵉ siècle, porté par le goût du funèbre sublimé, le cercueil de verre s’éloigne peu à peu de la sphère religieuse pour s’immiscer dans les récits romantiques.
Ce romantisme funéraire exalte la beauté fauchée trop tôt et la douceur du dernier sommeil, s’inspirant notamment de Chateaubriand, Lamartine, et de maints auteurs de l’époque.
Un courant « noir » qui marque l’émergence d’un rapport à la mort, mêlant culte du souvenir et esthétique du beau tragique.
Le cercueil de verre s’érige en symbole, véritable passage entre le visible et l’invisible.
Entre 1840 et 1870, les familles aisées exposent leurs défunts dans des cercueils à couvercle vitré lors des veillées funèbres.
La mort s’incarne en une mise en scène romanesque, « élégamment » suspendue dans le temps, entre amour et douleur.
📌 Dès le XVIIᵉ siècle, on commence à exposer les corps des saints et saintes dans des châsses de verre richement décorées.
Au-delà des hypothèses, il convient de raison garder.
Une légende se suffit à elle-même et nourrit le lecteur de son propre mystère.
Accueillons-la tel un écho du temps passé.
Bon voyage au pays merveilleux des légendes…
Rédaction MOINE Corinne
📚 Archives départementales de la Haute-Savoie
📚 Jean-Jacques Pittard – Le gisement d’asphalte de Volland-Pyrimont et son origine (1932) – étude géologique.
📚 Michel Roux – Sur les traces des mineurs de Pyrimont –
📍 Château de Pyrimont sur Google Maps
Abbaye d'Hautecombe Anglefort asphalte automne blues bouquet campagne cercueil chapelet Chaumont Chindrieux château Chésery clarafond-arcine Croix de Penet dorches enfance Entremont forêt gargouille glycine Hautecombe Ké Viva Chaumont loup-garou Lourdes légende marquise Massabielle missel Motz oratoire patrimoine Platière poupée Poupée coquelicot Rhône rose Sabine Sicaud Sassenay Savigny seyssel shirin-yoku sylvothérapie Volland Vuache