Un chemin de coquelicots
Balade poétique à Motz Savoie
lire la suite de l'article
« Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, ni les voiles au loin descendant vers Harfleur. Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe, un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur ».
Figés dans le granite des visages silencieux nous interpellent, les sourires de pierre s’éteignent sous les panaches de lierre.
La nature poétise le décor funéraire à l’abandon…
Le long des allées caillouteuses, des anges accrochés aux sculpturales croix ciselées, prient pour que des vents plus cléments les emportent vers le ciel de la postérité.
Désormais les cœurs émaillés ne reposent plus en paix !
Le cœur sans fioritures, symbole du sentiment sincère s’étiole tels les pétales d’une fleur éteinte, le sens profond de sa signification est voué à l’oubli.
Couchée sur un tapis de mousse et d’herbes folles, une stèle nous dévoile la scène poignante d’un enfant guidé par sa mère vers le repos éternel.
Foi et amour mêlés dans la pierre avec une extrême sensibilité artistique.
Des colonnes brisées empruntées à l’Antiquité, derniers témoins d’un faste passé et dépassé, somnolent dans les bosquets de lavandes, comme dans les bras de Morphée.
Une vieille tombe encadrée d’anneaux formant une lourde chaîne, nous rappelle que son carré est chasse gardée !
Un carré d’éternité, « peut-être »…
Car il me faut vous évoquer la disparition programmée de cette sépulture privée de concession à perpétuité…
Les pensées se cueillent du regard tant la taille au burin est harmonieuse, les mots s’effeuillent et s’effacent sous les outrages du temps, en une charmante métaphore :
“Mes pensées vous accompagnent”!
Oui mais jusqu’où, car l’éternité n’est pas de notre monde !
Comment ne pas s’émouvoir devant la richesse de tous ces ornements ouvragés avec le geste patient de l’artisan d’antan, qui n’avait nulle autre quête que d’offrir un peu de lui-même.
Tant d’épitaphes pieuses muant la mort en perpétuel amour, misent au rebut.
Nos vieux paroliers de pierre, se meurent tristement dans l’indifférence des vivants !
« Les visages de pierre » MOINE Corinne
Photo tombe végétalisée cimetière de Challonges Haute-Savoie
Victor Hugo, extrait du recueil «Les Contemplations» (1856)
Croix ciselée cimetière de Challonges Haute-Savoie.
Détails ange et volutes croix ciselée cimetière de Challonges Haute-Savoie.
Stèle funéraire d’enfant 1939 cimetière de Savigny Haute-Savoie.
Lors du renouvellement de la concession cette œuvre d’art a été conservée et placée derrière la nouvelle stèle.
Le cimetière accolé à l’église possède son carré dédié aux sépultures des curés du village.
Une barrière de facture ancienne ouvragée avec des volutes délimite ce carré.
Détails du visage magnifiquement restitués au burin.
Cimetière de Savigny Haute-Savoie.
Visage « moulé dans la fonte » enchâssé sur une pierre fin 1800 cimetière de Bassy Haute-Savoie.
Le cimetière de Bassy est accolé à son église, une grille de facture ancienne encercle le lieu.
Scène d’une mère accompagnant son enfant vers le repos éternel, granite sculpté fin 1800.
À l’abandon cimetière de Bassy Haute-Savoie.
Cette stèle funéraire a été restaurée, voir photo ci-dessous
Vase de type Médicis début 1900 Cimetière de Montanges Ain.
Sépulture avec chaîne composée d’un assemblage de maillons en acier pour délimiter le carré funéraire.
Ce cimetière est adossé à une colline avec une configuration en paliers, les sépultures les plus anciennes se situant en haut.
Ange monté sur croix ciselée.
Cimetière de Lhôpital Chanay Ain.
Détails effigie de la Vierge en prière croix ciselée cimetière de Lhôpital Chanay Ain.
Sur sa tête une auréole avec 3 petits cercles représentatifs de la trinité.
Dans le christianisme, la Trinité représente le Dieu unique en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Croix ornée d’un cœur en acier et effigie du Christ 1933.
Cimetière de Clermont en Genevois Haute-Savoie.
Cœur en émail sur sa croix 1949.
Cimetière de Clermont en Genevois Haute-Savoie.
Pour contrer la recrudescence d’épidémies mortifères, le décret royal du 10 mars 1776 ordonna le déplacement des cimetières de Paris et des différentes provinces du Royaume, le cimetière des Saints-Innocents ferma en décembre 1780.
Le 12 juin 1804, un nouveau décret ( encore valable de nos jours ) prohiba les inhumations dans les églises et imposa les cimetières hors des villes et des villages**.Le législateur n’ayant pas fait mention de date butoir pour l’exécution de ce décret, nombre de cimetières restèrent à leur emplacement d’origine.
Si le cimetière du XVIIe siècle fut un terrain vague* ouvert à tout va et à toutes les activités du quotidien, un siècle plus tard le cimetière s’organisera dans un espace clos par murets et portails, les activités profanes y seront proscrites.
Ainsi mis à l’écart du monde des vivants, puis sacralisé par l’Église, le cimetière deviendra un lieu chargé de croyances alimentant peurs et tabous divers.
*Beaucoup de cimetières furent des charniers à ciel ouvert, rendant l’atmosphère insalubre
**Entre les cimetières et les habitations, le législateur imposa une distance de 35 à 100 mètres.
L’église et le cimetière des Saints-Innocents vers 1550 -Gravure de Hoffbauer-
Nombre de légendes anciennes mêlant puissances obscures et maléfices divins, témoignent des craintes de nos anciens pour le funèbre. Autrefois, les manifestations lumineuses qualifiées de feux follets hantant la pénombre des cimetières, étaient interprétés comme des esprits malfaisants voulant entrainer les vivants vers le trépas. Désormais, la science a clôturé le chapitre de cette mémorable énigme rurale, les feux follets ne sont que des gaz de méthane dont l’origine est la dégradation des végétaux en zone humide !
Perchée sur son promontoire rocheux dominant le Rhône, l’église de Bassy ( Haute-Savoie) a conservé son cimetière qui s’enroule autour de ses murs en une procession de sépultures anciennes.
Une curieuse légende liait le fleuve emblématique au lieu, elle fut relatée par l’instituteur de Bassy en date du 30 septembre 1864.
Lors d’une enquête de « L’Académie Florimontane d’Annecy » qui recensait des sites archéologiques à l’origine de légendes locales, l’instituteur nomma le fameux rocher en ces termes : « Le Roc de la Baille* ».
Il raconta qu’un « trou » (un passage souterrain probablement situé sous le cimetière ), permettait aux défunts de franchir « le monde des vivants » afin de se désaltérer dans les eaux du Rhône.
Ce récit extraordinaire qualifié par les villageois de peu “orthodoxe”, n’avait plus cours en 1925 !
La topographie géographique du lieu laisse à penser qu’une «grotte/ faille/fissure » serait à l’origine de cette légende, mais la végétation, les modifications géologiques ont manifestement transformé le paysage.
D’après la légende de Paul Dufournet 1976
*Baille/bailler/ouvrir grand la bouche/ouverture
L’église de Bassy fut construite en 1826, son clocher porche de 1833 abrita une cloche fondue par les frères PACCARD d’Annecy-le-Vieux. En août 1914, alors que le tocsin annonçait la mobilisation générale, tel un mauvais présage la cloche se fêla, elle sera remplacée en 1918.
Nos cimetières ont pour la plupart entre 150 et 200 ans, n’oublions pas les décrets du 10 mars 1776 et du 12 juin 1804 qui obligèrent villes et communes à repenser l’implantation des lieux de sépultures. Les profanations sont sanctionnées par la loi ( Articles 225-17, 225-18 et 225-18-1.). Il est à déplorer une recrudescence de vols d’objets funéraires car ils ont parfois une valeur marchande. Des collectionneurs peu scrupuleux n’hésitent pas à passer par des réseaux bien organisés. Les cimetières des villes se sont « urbanisés », les sépultures anciennes ont pratiquement disparu.
Trésors de nos cimetières : visitez le site
Nos vieux cimetières de campagne ne sont pas que des carrés de bienveillance, ils sont la mémoire d’un art funéraire révolu. Les sépultures « héritées » du passé dont les éléments architecturaux sont exceptionnels (dans la mesure où leur nature artisanale/artistique est avérée ), doivent être sauvegardées. Peut-être serait-il judicieux de catégoriser les cimetières remarquables sous un label patrimonial. Il est fort à parier que les concessions funéraires seront de plus en plus courtes, nos sépultures anciennes s’en trouvent donc menacées. Nos élus locaux doivent réagir ! L’omniprésence de nos tabous liés au funèbre, ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : nos vieilles tombent se meurent en emportant leurs secrets avec elles…
Pour votre information : Le monument funéraire en ruine que j’avais photographié lors de mon passage en octobre 2020, a été restauré. Les deux fûts « colonnes » n’ont pas été replacés, car trop endommagés. Il s’agit sans conteste d’un des plus beau témoignage du passé, une œuvre d’une richesse artistique incomparable, bien loin de l’usinage géométrique des stèles en marbre d’aujourd’hui ! Nettoyé de son lichen, le promeneur soucieux du patrimoine funéraire rural, peut désormais en admirer les multiples symboles. Une petite contrariété visuelle tout de même, liée au mastique qui fait la jointure des deux chapiteaux.
Cimetière de Bassy -Haute-Savoie–
Cliquez la photo pour l’agrandir
Voici une liste non exhaustive de petits cimetières ruraux qui vous dévoileront la douceur de leurs vieilles tombes : Lhôpital à Chanay 01 -Bassy 74 -Chézery 01-Montanges 01-Corbonod 01-Clermont 74-Seyssel 01/74-Savigny 74-Challonges 74 …
Rédaction/Photos/Moine Corinne
Jean-Olivier Majastre « L’espace des morts et le monde des vivants » 1977
Collection Persée « Récits et légendes historiques recueillis à Bassy (Haute-Savoie) » Paul Dufournet 1976
*Les textes sont l’entière propriété intellectuelle de la rédactrice.
* Les photos estampillées LS&L et les textes sont soumis à des droits d’auteur.
Bugnard Jean François (1848-1893) cultivateur à Lafin commune d’Aix-les-Bains, accompagné de son épouse Rubeaud Josephte (1848-1934) masseuse à l’établissement thermal d’Aix-les-Bains. Cette photo fut réalisée en 1889 avant la naissance de leur fille Eugénie.
Autrefois dans nos campagnes, l’histoire se léguait au coin de la cheminée, cette passation intergénérationnelle renforçait la cohésion familiale.
Les anciens ne concevaient l’avenir que sur les modèles du passé, ainsi perdurait l’enseignement acquis des générations précédentes dans une continuité indéfectible.
Ce mode de transmission aux valeurs humaines ancestrales disparaîtra, progressivement balayé par l’exode rural*, la scolarisation obligatoire**des enfants et les prémices de la modernité.
Nos ainés connurent leur lot de gloires passagères et de revers imprévus, multitude de circonstances temporelles, sociales, culturelles bouleversèrent le quotidien.
Au cœur de nos cimetières, nombre d’hommes et de femmes sans vanité qui œuvrèrent dans l’ombre de notre histoire, sont désormais figés dans l’anonymat…
Pour exemple, en 1900 « les époux Fayolle » léguèrent leurs modestes lopins de terre aux villageois désargentés de Corbonod.
Pas de quête existentialiste comme aujourd’hui, juste des vraies valeurs, ce qui tend à rendre les histoires oubliées encore plus émouvantes…
Rédaction Moine Corinne
* Dés 1880 suite aux calamités agricoles
**Jules Ferry 16/06/1881
« Amélie Carrely de Bassy, baronne de Silans, fille du dernier seigneur de Bassy aimait s’assoir sur une petite excavation naturelle en forme de banc située à proximité du cimetière de Bassy.
De ce promontoire rocheux, elle contemplait le paysage serpenté par le Rhône en contre-bas.
Jusqu’à ses quatre vingt dix ans, se fut sa balade quotidienne, elle mourut en 1880.
L’histoire de cette femme marqua l’esprit des villageois, de son destin naquit une légende.
Jusqu’en 1932, le folklore populaire du village de Bassy contait une histoire fort étrange : les soirs de pleine lune, une fée énigmatique prenait place sur le banc de pierre… »
« La chetta à la dàma » (La chaise de la dame) Source Paul Dufournet 1976
Sépulture « Fayolle » cimetière de Corbonod Ain
« Ils évoquent les souvenirs pour garder la mémoire, des histoires d’autrefois venues du fond des âges. Des gestes pour transmettre la beauté du savoir, des valeurs ancestrales qu’ils aiment et qu’ils partagent. »
Extrait « La veillée » MOINE Corinne
Photo ci-dessus numérisée/Archive personnelle/Ne pas reproduire
*Les photos que vous me confiez sont numérisées et archivées : elles sont notre mémoire historique, notre patrimoine. Vous découvrirez peut-être au détour de mes articles « Comme autrefois » ou « Les histoires de l’ombre » un de vos ancêtres.
*Les photos estampillées LS&L sont soumises à des droits d’auteur.
*Les textes portant un astérisque sont l’entière propriété intellectuelle de la rédactrice.